(…) Apportez à la maison du trésor toutes les dîmes,
afin qu’il y ait de la nourriture dans ma maison. [Mal.
III, X, La Sainte Bible, Louis Segond.]
Introduction
Peu importe l’approche à laquelle on adhère, on est presqu’unanime à accepter que les
ressources, matérielles ou humaines, sont consubstantielles à l’organisation collective. Et pour
faire usage d’une notion moderne, la gouvernance est de les combiner pour en faire une dimension
rentable2. Depuis la sédentarisation, l’histoire de l’homme est aussi celle de la règle faisant de lui
l’homo juridicus3 en traçant des repères relatifs à un environnement dépendant d’une organisation
imprégnant un arrimage de modèles et de valeurs. Ce qui, par la suite, nous permet de comprendre
cette pensée d’Alain Supiot pour qui, l’homme ne nait pas rationnel, il le devient en accédant à un sens partagé avec les autres. Chaque société humaine est ainsi l’instituteur de la raison4
. Une situation/étape créant également le développement de la pensée qui, à un certain moment de la
durée, a fini par placer l’homme au centre de tout. Ainsi, la grégarité gagne du terrain. Et, suivant
une démarche contractualiste, qui est la nôtre, sont établis, suivant consentement, des principes
fondamentaux à l’adhésion d’un ordre social faisant naitre, du coup, pour répéter Cicéron5, une
institution destinée à servir le bien commun, la publica res. Alors, pour pouvoir matérialiser et
rendre pérenne l’objectif, cette organisation pose des actes axant sa démarche sur un point fort de
la sédentarisation qu’est la production. Du fiscus à une forme répondant beaucoup plus aux
exigences des réalités sociodémographiques de l’heure, les ressources collectives ont toujours fait
l’objet de gestion liant un ensemble de règles et de dispositions dans l’idée de rendre la tache
efficace. D’où poindre la gestion des finances publiques qui, on peut le dire, semble demeurer une
préoccupation constante pour les administrations s’orientant dans une logique de politique
beaucoup plus moderne.
Chez nous, l’idée est apparue depuis l’état embryonnaire même de la construction de l’État.
Cela ne veut pas dire pour autant qu’on en est loin aujourd’hui. Bref, si dans les premières
tentatives d’implantation de l’État la volonté était de faire de la gestion des finances publiques une
activité efficiente, il en demeure aussi vrai que l’histoire de celle-ci est soldée de pas mal
d’embuches. Sans vouloir rentrer dans les polémiques tous azimuts ni d’aborder la question au
sens du déjà là, il est clair que depuis la formation de l’État, les administrations qui se sont succédé,
malgré les balises légales et institutionnelles, n’ont pas pu faire une bonne gestion des ressources
collectives. Et à chaque fois la question de la responsabilité apparait.
Les modes d’organisation sociétale dépendent des dispositions réglementaires et qui, au
sens de Durkheim, sont calquées sur les pratiques et valeurs fondamentales. Ainsi pour l’auteur,
c’est dans les entrailles mêmes de la société que le droit s’élabore, et le législateur ne fait que
consacrer un travail qui s’est fait sans lui.
6 Et, nous ajoutons, celui-ci devient le fait social le plus
privilégié, dans le sens de vouloir réglementer les autres faits sociaux. Si nous revenons à la
question de la responsabilité mentionnée plus haut, cette approche utilitariste du droit pourrait nous
aider à bien l’aborder. Dans ce cas, la dimension à la fois théorique et systématique de celle-ci sera
de la partie engendrant inéluctablement une considération praxéologique. Le constat est clair, si la
volonté de responsabiliser est là en ce qui a trait aux mauvaises gestions des ressources collectives,
il est aussi avéré que les fondamentaux relatifs à ce champ de compétence semblent ne pas faire
bonne maitrise.
Au lendemain de l’indépendance l’idée de doter le jeune État de dispositifs chargés de
contrôler les recettes et les dépenses était déjà là. Et la loi du 26 juin 1823 crée en ce sens la
Chambre des Comptes qui, subissant de mutations institutionnelles, devient la Cour Supérieure
des Comptes en 19577
. Aujourd’hui, depuis 1983, Cour Supérieure des Comptes et du Contentieux
Administratif (CSCCA)8
, elle est une juridiction financière indépendante et autonome suivant les
dispositions de l’article 200 de la Constitution en vigueur dans sa fonction intégrative9.
Parallèlement à ses attributions contentieuses, la Cour exerce des attributions de contrôle de
comptes. Ce contrôle, à la fois, externe et global touche la comptabilité publique relative à
l’exécution des lois de finances. Si depuis notre orientation démocratique et républicaine
l’idiosyncrasie devrait laisser la place aux institutions, la perception présidentialiste dans
l’organisation de la vie politique semble gagner dans l’opinion. Pourquoi, il est d’avis de plus d’un,
la gestion des finances publiques, entre autres, dépend du chef de l’État. Pour d’autres, s’il n’en
est pas responsable il peut, en s’immisçant, l’influencer.
L’ancien président de la Cour Supérieure des Compte et du Contentieux Administratif
(CSCCA), le professeur Joubert Neptune, dans son texte10, « L’épineuse question de la décharge
en Haïti », relate : La Constitution ne fait pas du président de la République un « comptable de
deniers publics », ni la loi. Le président peut, toutefois, devenir « comptable de fait » s’il s’immisce
dans le maniement des fonds publics. Il faut alors le prouver. D’autres interventions allant dans ce
sens sont nombreuses à travers des articles de journaux et dans les prises de parole à travers les
médias. Certains en construisent même leurs arguments pour faire obstacles aux adversaires dans
l’arène politique. La conviction des leaders d’opinion autoproclamés est faite, puisque les
professeurs de droit qu’ils disent recevoir entonnent le même refrain et, cela dit, dans une
ambiance de culte d’exaltation mutuelle. C’est pour eux comme coulé dans du béton ; il n’y a pas
matière à débat. Face à tout ça, une question principielle s’impose. Les attributions et les
compétences ainsi que les limites des institutions y relatives ne sont-elles pas préalablement
définies par la loi ? Pour répondre à cette carence au niveau de la compréhension de cette partie du topos paradigmatique des finances publiques, il importe de faire une analyse sociohistorique de
la comptabilité publique de chez nous, introduire la compréhension du contexte de maniements
des fonds publics et pour enfin essayer de dégager une intelligibilité contributrice.
La notion de « comptable de fait » entre controverses et incompréhension
Dans l’extrait du texte du professeur Neptune mentionné plus haut, il est important d’attirer
l’attention sur la notion de « maniement des fonds publics ». Cette notion consiste en des
opérations de recouvrements et de recettes, du paiement des dépenses, de la garde et de la
conservation des fonds, valeurs, produits et matières appartenant ou confiés aux organismes
publics. Cette activité de maniement est, en effet, la gestion de fonds publics assurée par des
« comptables de deniers publics ». Il est important de surligner ici, question de souligner à vos
égards, que l’expression de « comptable de deniers publics » utilisée par la Constitution11 ne fait
pas référence uniquement qu’à la notion de comptable public. Elle englobe plutôt les ordonnateurs,
les comptables publics et d’autres agents occupant des postes de responsabilités administratives.
Si la gestion des fonds publics comporte une phase administrative et une phase comptable12, seule
la seconde semble nous intéresser dans le cadre de cet exercice13. Car, la première dépend des
ordonnateurs (principaux ou secondaires) remplissant une fonction de décideurs financiers ; ils
sont seules habilités à apprécier l’opportunité d’une dépense ou à constater l’existence d’une
recette.
La phase comptable qui consiste en l’ensemble des règles qui déterminent comment
s’effectuent les opérations financières et comment sont tenus les comptes des organismes publics
est assurée par de comptables publics. Dans ce cas, seul le maniement des fonds devrait rendre une
personne comptable de deniers publics. D’où, l’importance du contexte de maniement des fonds
publics. A cet effet, lorsque le professeur Neptune disait que le Président de la République peut
devenir « comptable de fait » s’il s’immisce dans le maniement des fonds publics [sous réserve de
le prouver] à quoi voulait-il faire référence ? Qu’en est-il de la notion de « comptable de fait » ?
La notion « comptable fait » apparait avec l’arrêt de la Cour des comptes de la Ville de
Roubaix du 23 aout 184314. L’introduction de cette notion dans la littérature des finances publiques
françaises au XIXe siècle était non seulement pour renforcer l’incompatibilité des fonctions d’ordonnateurs et de comptables publics, mais aussi de rendre exclusive celle de comptable public
en ce qui a trait à l’exécution des ordonnancements et les responsabilités qui vont avec15. Ce
dispositif a été repris chez nous dans le but de s’assurer également que les règles de la comptabilité
ne seront pas contournées en garantissant aux comptables l’exclusivité de la manutention des
deniers publics et en donnant un fondement juridique à la mise en charge des manques en caisse à
ceux qui en seraient à l’origine afin d’avoir une voie [juridique] pour s’assurer le retour dans la
caisse des fonds publics qui ont été [ou seraient] irrégulièrement extraits. L’idée a été adoptée par
le législateur de chez nous depuis l’année 1870 avec la loi sur l’hypothèque légale16 créant la
formalité irritante, nous dit le professeur Neptune, de la décharge d’un comptable de deniers
publics17. Et à travers des textes réglementaires, au sens large du terme, beaucoup plus récents à
savoir l’arrêté portant Règlement Général de la Comptabilité Publique du 16 février 2005 ainsi
que la loi du 4 mai 201618 relative au processus d’élaboration et d’exécution des lois de finances,
cette responsabilité du comptable de deniers publics est devenue beaucoup plus frappante.
Tres bon article, j’attends le prochain.